Le SNES-FSU Toulouse a pris connaissance d’un courriel de la DRANE Occitanie, signalé par plusieurs collègues, et adressé aux collègues exerçant en cycle 3, recherchant des professeures volontaires pour participer au développement de solutions logicielles « visant à accompagner les apprentissages des élèves de cycle 3 (CM1, CM2, 6ᵉ) en français, mathématiques et langues vivantes, à l’aide de services numériques fondés sur l’intelligence artificielle. »
Cette démarche s’inscrit dans le cadre d’un partenariat public-privé, le « Partenariat d’innovation en Intelligence Artificielle (P2IA) », co-porté par le ministère de l’Éducation nationale et associant des laboratoires universitaires de recherche, mais aussi des entreprises privées éditrices de logiciels ... qui seront un jour ou l’autre payants !
Les visées de ce partenariat sont claires : « Le P2IA intègre une dimension d’acculturation à l’intelligence artificielle pour les enseignants, les élèves et leurs familles » [1].
Il ne s’agit donc pas de savoir si l’Intelligence Artificielle (IA) sert réellement à faire progresser les élèves, ni si les élèves sauront un jour apprendre et développer de réelles connaissances scolaires plutôt qu’à faire travailler une machine à leur place, mais à convaincre la communauté éducative qu’il ne saurait y avoir d’éducation et d’enseignement sans IA !
Nulle part n’est clairement précisé dans ce message ce qui est précisément attendu des collègues volontaires, ni les implications concrètes sur leur activité professionnelle ou sur la relation avec les élèves : ils ’agit surtout de disposer rapidement d’un vivier de volontaires qui ne posent pas trop de questions. Le message se veut rassurant sur le travail, laissant penser qu’il ne s’agirait que de tests de fonctionnalités proposées par le logiciel, dans le but « de faire des retours à l’éditeur ».
Le recours à ces plate-formes et produits logiciels pose de nombreuses questions, et présente parfois des contradictions qui interpellent, pour qui creuse un tant soit peu les services proposés en test :
– le service EXPLIQ est un service développé (entre autres acteurs) par la société Ed-innov, dont le siège social est à Beyrouth (Liban), donc carrément hors Union Européenne, et qui se met en avant sur son site : « L’initiative Ed’Innov vise à mettre en place un écosystème d’acteurs concernés par l’innovation dans l’éducation afin de soutenir l’adaptation et l’évolution de l’éducation aux mutations de la société ». [2]/
– le service MATHIA-C3 propose des accès gratuits pendant 45 jours à l’ensemble de la plate-forme et de ses contenus, avant de basculer vers un système d’abonnement payant ... par les professeures ! [3]
– le service EDUMALIN propose une assistance pédagogique avec assistant conversationnel : c’est-à-dire qu’il place l’élève dans une relation d’échange avec une machine, qui génère par un système d’Intelligence Artificielle des éléments d’explication ou de questionnement à destination de l’élève... Il repose ainsi sur des IA génératives, dont le ministère indique pourtant dans son propre Cadre d’usage de l’IA en éducation : « l’utilisation pédagogique en classe des IA génératives par les élèves, limitée, encadrée, expliquée et accompagnée par l’enseignant, est autorisée en classe à partir de la 4e » ... tout en le faisant tester au cycle 3 !
– le service yLANG repose lui sur les services d’une société (Nolej) qui indique clairement sur son site « Nos services ne s’adressent pas aux enfants de moins de 13 ans » [4], quand la DRANE propose d’expérimenter ce service en cycle 3 ... qui scolarise des élèves de moins de 12 ans !
– Le Service ORIGAMIA est développé des entreprises privées [5], afin notamment de développer des outils de différentiation pédagogique basées sur des Intelligences Artificielles adaptatives : pour alimenter les propositions des logiciels basés sur cette technologie, il est nécessaire de disposer de bases de données issues d’expérimentations dans lesquelles le comportement des professeures et des élèves est enregistré et analysé par l’entreprise qui fournit le service (payant) lors du déploiement du logiciel. On peut donc considérer que les expérimentateurs (professeures comme élèves) servent de « cobayes », et fournissent à une société privée un travail gratuit qu’elle valorisera pour son propre compte. C’est d’ailleurs ce que ne cache pas la DRANE, en indiquant dans son courriel (« nous recherchons des enseignants volontaires, consiste à accompagner l’éditeur dans la mise au point du service »). Les parents seront-ils quant à eux seulement informés que leur enfant participe à une expérimentation au profit d’entreprises privées ?
Par ailleurs, ce service est développé en collaboration avec Vittascience, qui offre aux élèves, dès le plus jeune âge, l’opportunité de s’habituer à interroger une IA générative, comme si le problème dans nos classes n’était pas plutôt d’en encadrer et limiter les usages par les élèves au autonomie !
Pour un moratoire sur le déploiement des IA en éducation : résister en n’encourageant pas le mouvement !
Par ailleurs, le SNES-FSU entend mener, avec la profession, une réflexion solide et sérieuse, qui prenne le temps nécessaire, que refuse aux professionnels des apprentissages et de la scolarisation des élèves que nous sommes, le mondedes start-up de l’EdTech qui encouragent le ministère à tester, déployer, tout azimut et sans réflexion de fond, mais avec de réels objectifs mercantiles, des solutions d’IA. Il s’efforce dans le même temps de défendre des métiers qui sont attaqués de toutes parts, et notamment par le biais des outils numériques, dont les IA.
Des éléments pour se documenter précisément
Dans ce cadre, il produit une veille, des analyses et des réflexions, en libre consultation sur son site national.
On y trouvera notamment :
– les positions générales du SNES-FSU sur le numérique et l’IA :
– une publication sur les enjeux génériques de l’IA
– des articles réguliers, dont les derniers sont à ce jour : Résister syndicalement à l’imposition des IA dans nos métiers ; IA dans l’éducation : cadre d’usage ou plan de développement ? ; Les IA court-circuitent les apprentissages ; L’IA contre les droits humains, sociaux et environnementaux
On trouvera aussi dans le Cadre ministériel de l’usage des IA en éducation le rappel salutaire des normes juridiques, éthiques, environnementales, etc. qui encadrent, et bien souvent limitent, les usages des IA dans le cadre de la classe : respect des données personnelles, consommation d’énergie et d’eau, fuites de données sensibles ou pillage de ressources produites dans le cadre de l’activité professionnelle, obligations de déclaration et d’information, etc.
